Les subventions sont problématiques
Les subventions agricoles sont vouées à disparaître. Elles sont inéquitables envers les pays qui n’ont pas les moyens de subventionner leur production, leurs agriculteurs étant alors dans l’incapacité de concurrencer sur le marché mondial les prix de nos productions. Cette situation engendre la famine, la misère et la dépendance. Les pays qui bénéficient de nos aides alimentaires sont en réalité des pays où l’agriculture pourrait être au moins aussi productive que la nôtre, avec une plus forte intégration humaine, donc favorable au développement. De supprimer nos subventions agricoles est donc une opportunité pour ces pays de se développer, le paramètre indispensable à la résolution de la faim dans le monde, à laquelle les membres du G20 et du Forum de Davos ont décidé de s’attaquer.
Mais la fin des subventions est un problème dans un pays comme la France où le foncier est désormais si cher que l’installation est quasiment un suicide si le vendeur ne fait pas une fleur au repreneur, comme on peut le voir dans le cas d’une transmission intrafamiliale. Et les subventions directes sont illégales, interdites par l’Europe comme l’OCDE ou l’OMC. C’est de la concurrence déloyale qui fausse le marché. Les subventions autorisées sont négociées entre pays pour qu’elles répondent à des besoins précis à des conditions précises, de manière à ne pas compromettre la mondialisation.
Le sortant ne peut toutefois pas toujours sacrifier à l’entrant son domaine, qui est souvent l’essentiel de son revenu de retraité. La retraite agricole n’est habituellement pas bien lourde et les agriculteurs retraités vivent sur la vente ou location de leur domaine qui représente alors leurs économies de toute une vie. Durant leur vie d’actif, ils ont remboursé leur domaine, comme d’autres constituent une épargne patrimoniale, via une caisse complémentaire ou une assurance-vie, et collectent en une seule fois cette épargne au moment de la vente. C’est donc leur vie de retraité et leur héritage qui s’en va en fumée s’ils consentent à un trop grand sacrifice.
D’un autre côté, dans ce système actuel, subventionné, c’est l’Etat, au travers de la PAC (Politique Agricole Commune) qui paie une bonne part du domaine. Ce n’est pas un problème en soi puisque le rôle du paysan dans le paysage national est essentiel : il nourrit la population. Et c’est le prix du foncier qui contraint à cette subvention. Si nous n’étions pas concurrentiels sur le marché mondial avec les prix de nos productions, alors soumis au montant des annuités que les coûts infrastructurels induisent, le sort de nos agriculteurs serait alors le même que dans les émergents et ça en serait fini de l’agriculture telle que nous la connaissons et alors que le public en appelle à la transition agroécologique.
Il y a un panel de solutions plus ou moins simples et acceptable par tous pour répondre à cette problématique!
Il y a aujourd’hui un peu plus de 4000 installations de jeunes agriculteurs en France par année. Ils ont droit à des aides, telles que des prêts bonifiés, par exemple. Il faut bien appréhender de quoi nous parlons pour bien saisir l’étendue du problème. Un domaine de 100 hectares, avec l’habitation, la grange, le hangar à machines, la stabulation, les machines, etc… aujourd’hui c’est un investissement entre 1 M€ et 1’5M€, des annuités littéralement délirantes pour un jeune qui s’installe. La pression financière sur la viabilité du domaine et, conséquemment, sur l’agriculteur et sa famille, est donc considérable.
Mais une grosse part de ce montant est inhérente au système agricole en place. La nouvelle agriculture du 21e siècle est beaucoup moins gourmande en puissance. Il faut de grosses machines non pas parce qu’il y a de grosses surfaces, mais parce qu’elles sont labourées profondément, traitées régulièrement. Si on arrête de labourer et de traiter massivement, il n’est plus nécessaire d’avoir des grosses machines qui diminuent en masse financière, tant à l’achat qu’à l’entretien, et en quantité. Des tracteurs plus petits, qui peuvent être électriques, des robots autonomes solaires pour désherber ou récolter qui coûtent bien moins cher que le carburant et les pesticides économisés tout en permettant de limiter le nombre d’employés. En ayant une récolte de meilleure qualité restauratrice de l’environnement, qui amende les sols, qui ne contamine plus, qui n’érode plus.
Alors proposons une idée, simple à mettre en place et pas si coûteuse que ça, disons 4 milliards par an, consistant à ce que l’Etat se porte tout simplement acquéreur de la moitié du domaine de manière à favoriser l’installation des jeunes, la conversion agroécologique et la transmission. Concrètement : le « JA » (Jeune Agriculteur, dans le jargon, c’est pour faire plus « pro », plus « smart) soumet un dossier demandant la participation de l’Etat à hauteur de 50% du domaine qu’il souhaite acquérir, en proposant un modèle d’agriculture durable. C’est aussi valable pour un domaine existant surendetté qui ne peut pas faire sa conversion, n’ayant pas les moyens d’adapter son équipement en raison de son endettement, nous le verrons plus bas.
Le dossier, une fois accepté, permet au jeune d’acquérir le domaine comme s’il l’avait acquis à la moitié de sa valeur. Il gère l’exploitation en toute autonomie au cours de sa vie professionnelle, sans contrainte autre que le respect de ses engagements dans le dossier. Au moment où il le souhaite, lorsque son crédit est amorti, il peut décider de racheter ses parts à l’Etat qui s’engage à lui vendre au prix du jour. S’il n’a pas racheté ses parts à sa retraite, à l’heure de la reprise du domaine, soit le repreneur dépose un dossier avec un projet d’agriculture durable, soit il rachète l’intégralité des parts, la moitié à l’agriculteur sortant et l’autre moitié à l’Etat qui récupère ainsi ses billes.
Ce concept est également possiblement transférable sur les agriculteurs en situation critique en raison de l’obsolescence du modèle productiviste. Une proposition de conversion pourrait leur être faite et en échange de cette conversion, ils bénéficieraient alors de ce dispositif qui pourrait être accompagné d’une période de défiscalisation, de prêts bonifiés, toutes choses pour accélérer et faciliter la conversion et raccourcir la durée d’immobilisation du capital pour l’Etat et permettre à l’agriculteur de la lui racheter le plus tôt possible.
Ce ne sont donc pas des subventions, mais un investissement pour l’Etat
Ainsi, l’Etat investit sur son territoire, en devenant détenteur de parts de domaines agricoles, mais il favorise également la transition agroécologique en s’épargnant des subventions directes, plus coûteuses et qui s’évaporent au fur et à mesure. En outre, c’est légal, puisqu’il ne s’agit pas de subventions agricoles, mais bien d’investissements dans l’agriculture. Contrairement aux subventions, qui sont versées à perte chaque année, l’Etat est bel et bien propriétaire foncier, il détient du capital.
Il ne s’agit pas pour l’Etat d’agir en actionnaire. Factuellement, l’exploitant est autonome, il gère le domaine comme s’il était intégralement à lui et se verse un salaire. C’est seulement s’il y a du bénéfice que des dividendes sont versés à l’Etat. Le rôle de l’Etat se limite donc à celui d’un associé silencieux qui ne veille qu’à ses intérêts et au respect du lien contractuel. Des indemnités peuvent être prévues en cas de violation du contrat. Et l’Etat s’engage à vendre lorsqu’on le lui demandera, au prix du marché du jour. Dès que l’agriculteur souhaite racheter les parts de l’Etat, l’Etat les lui vend.
D’autres mesures incitatives complémentaires peuvent être mises en place
La résistance des agriculteurs au changement, qui à la moindre décision politique descendent sur les routes pour manifester leur droit à polluer, il ne sera pas possible de s’épargner des mesures plus ou moins contraignantes. Depuis 2012 l’Etat s’est engagé dans un plan de réduction des phytosanitaires. Un plan « Ecophyto » a été mis en place, visant à les réduire significativement. N’ayant produit aucun effet notable sur les quantités de pesticides malgré la vingtaine de conversions de domaine quotidiennement, un plan « Ecophyto II » plus ambitieux a été mis en place en 2015. Entre 2012 et 2017, plusieurs milliers d’exploitations se sont converties, en général au bio, mais aussi à l’agriculture raisonnée ou intégrée. Malgré ces plans consécutifs, malgré les conversions, malgré la propagande, la consommation de pesticides a encore augmenté de 12% sur la période !!
Autant dire qu’il ne faudra pas compter sur la bonne volonté des agriculteurs pour réduire la pollution. D’autant qu’une agriculture plus écologique est plus complexe. L’agriculture productiviste est une agriculture facile, on devient agriculteur aujourd’hui en deux ans d’école d’agriculture. Vous étiez webmaster à Paris, vous décidez de changer de vie, vous vous inscrivez à une école d’agriculture, deux ans plus tard vous déposez un dossier Jeune agriculteur. Autant dire que vos compétences en matière de cultures sont minces. On vous a appris la maintenance de vos machines, l’entretien du bétail, à suivre le mode d’emploi des semenciers et phytosanitaires et voilà. Mais vous ne savez pas cultiver. C’est triste à dire, mais aujourd’hui 95% des agriculteurs ne savent tout simplement pas cultiver (même s’ils s’en défendent et prennent toujours les autres de haut). De devoir apprendre à cultiver avec des cultures plus symbiotiques, plus complexes, est perçu comme humiliant par des individus, essentiellement des hommes, qui se pensent être les chantres de la campagne, qui se voient en écologistes qui entretiennent le paysage.
Et tout ceci est d’autant vrai qu’on peut quand même difficilement dire à un agriculteur de 55 ans qui a repris le domaine familial à 19 ans de changer d’agriculture alors qu’il est au bord de la retraite. Il faut lui permettre de continuer d’avancer, quittes à le contraindre un tantinet. Et la solution consiste à surtaxer les pesticides, augmenter mécaniquement le prix chaque année. Chaque année le prix augmente de 2% ou 3%. Pour compenser cette hausse il lui suffit d’en diminuer l’utilisation, et c’est possible, on peut déchaumer au lieu de désherber, on peut traiter systémiquement au lieu de systématiquement. Et donc le coût de ses intrants augmente chaque année, mais chaque année il fait l’effort de diminuer sa consommation en échange, ce qui lui permet de tenir les dernières années jusqu’à sa retraite.
Les anciens agriculteurs, ceux qui ont le plus de carrière, sont aussi ceux qui font le plus de résistance au changement. Ils sont de mauvaise foi, s’accrochent à leurs principes, et donc il est crucial de les remplacer par une nouvelle génération, plus conforme à la nouvelle agriculture du 21e siècle. Mais beaucoup tiennent à conserver leurs terres pour encaisser la PAC en complément de retraite, d’autant que du coup, en raison de leurs pratiques obsolètes, les jeunes ne veulent pas collaborer avec eux et reprendre le domaine. Le conflit générationnel rend la transmission ardue, voire irréaliste. L’ancien doit partir, pour que le jeune devienne le patron du lieu et applique ses méthodes. Et donc nous nous retrouvons dans une situation de blocage, parce que les anciens ne veulent pas abandonner leurs terres pour encaisser la PAC, parce que n’ayant pas trouvé de repreneur en raison de ce conflit de génération. Et sans reprise du domaine, ils n’ont tout simplement pas les moyens de partir à la retraite, donc ils le gardent pour avoir la PAC et ainsi pouvoir simplement vivre. Au Royaume-Uni une idée très simple a été de proposer de payer les agriculteurs pour qu’ils s’en aillent, une somme de 50’000£ à 100’000£. Et c’est une très bonne idée. Ca permet à l’agriculteur de s’en aller sans crainte à la retraite, on trouve un repreneur pour son domaine, qui revient à l’agriculteur retraité, évidemment, et voilà la transition est réalisée. Concrètement, une somme de 500€ à 1000€ par hectare cultivé depuis plus de 5 ans (pour éviter qu’ils se refilent des terres au dernier moment) est très raisonnable avec une échelle progressive ou logarithmique afin de ne pas défavoriser les petits et parvenir à une moyenne de 800€/h. Le gros agriculteur qui travaille des centaines ou des milliers d’hectares perçoit 500€/h, le petit agriculteur avec quelques dizaines d’hectares reçoit 1000€/h. Des seuils haut et bas peuvent être instaurés. Par exemple minimum 50’000€ et maximum 500’000€.